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Philo Mermoz
25 mai 2018

III] Elts du cours sur le travail

Travail et liberté

A   La dimension dégradante du travail

1)      La tradition grecque.
 

En toute rigueur le travail est une contrainte vitale. Par définition une contrainte est ce qui nie la liberté. Voilà pourquoi les Grecs ont lié le travail à l’esclavage et l’ont opposé aux activités libérales comme la science, la philosophie ou la politique.
 Réactualisant les analyses grecques, Hannah Arendt note combien l’expression « animal travailleur » est bien trouvée alors que celle « d’animal raisonnable » est antinomique.  C’est parce qu’il n’est pas un simple animal que l’homme est raisonnable, en revanche c’est sa nature animale qui le condamne au travail. Car il faut, dit-elle, distinguer le travail et l’œuvre de nos mains ; l’animal laborans et l’homo faber.  Le travail est l’activité au service de la vie, engloutie dans son caractère dévorant, futile, toujours à recommencer puisque la consommation en détruit immédiatement les produits. Activité non libre, répétitive, sans commencement ni fin, vouée à la destruction de tous les biens qu’elle génère.
 L’œuvre au contraire arrache l’homme au cycle répétitif de la nature et donne naissance au monde proprement humain. Celui-ci a un caractère durable et c’est en lui que s’insère l’action humaine.

 Hannah Arendt introduit ainsi la distinction conceptuelle : travail ; œuvre ; action.
 Le travail est ici déchiffré dans son sens organique et animal. Il s’ensuit que le travailleur n’est véritablement humain qu’autant qu’il fait œuvre c’est-à-dire qu’il produit des choses durables. Mais conformément à la tradition grecque, Arendt réactualise le principe d’une supériorité de l’action sur l’œuvre et le travail. La vie active correspond à l’engagement politique par lequel, les uns avec les autres, les hommes instituent leur être-ensemble, définissent les fins de leur existence et nouent des rapports d’amitié et de justice.

2)      Le judéo-christianisme.

 Jérusalem aussi pointe le caractère négatif du travail.
 La Bible en fait le châtiment de la faute originelle et l’objet d’une malédiction.
 «  Maudit soit le sol à cause de toi. C’est au prix d’un travail pénible que tu tireras ta nourriture tous les jours de ta vie. Il te produira des épines et des chardons et tu mangeras l’herbe des champs. C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras le pain jusqu’à ce que tu retournes à la terre dont tu as été tiré car tu es poussière et tu retourneras à la poussière » Genèse 3 ; 16.19.
 Le travail de la femme étant l’enfantement il est dit aussi « tu enfanteras dans la douleur ».
 Dieu avait confié le jardin d’Eden à Adam et Eve sous condition de respecter sa loi et ne pas goûter à l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Mais l’homme désobéit (thème du péché originel) et advient à lui-même dans le mouvement l’expulsant du paradis terrestre (thème de la chute).
 Désormais il n’est plus créature de Dieu, il est rejeton de la terre, sa condition n’est plus celle des immortels, étrangère à la mort, au souci, à la peine ; il est jeté dans le temps, confronté aux affres de sa finitude et à l’hostilité d’une terre à laquelle il lui faudra arracher à la sueur de son front les conditions de sa subsistance.
 Mais à la différence des Grecs, la Bible pointe l’essence dialectique du travail et prépare la modernité.
 Car la malédiction est aussi chemin de rédemption. En assumant la pénibilité du travail l’humanité expie sa faute et promeut les conditions de son salut.
             
3)      L’étymologie.
 L’étymologie latine enfin corrobore le sens négatif du travail.
 Le mot vient de tripalium qui désigne un instrument à trois pieux servant à maintenir les chevaux récalcitrants afin de les ferrer.  C’est dire que la notion de travail connote celle de torture, de souffrance endurée à son corps défendant.  De même, le mot labeur indique celui de peine.
Dans cette perspective la tâche des hommes est de se libérer de la servitude du travail.
Elle consiste à dégager du temps libre, non point pour être oisif. Le mépris grec du travail ne débouche pas sur une apologie de la paresse ou de l’oisiveté. « L’oisiveté est la mère de tous les vices » dit la sagesse des nations. Elle livre l’homme à l’intempérance, à la démesure, à l’excès. Le temps libre ou loisir (Skholè) est un temps actif, celui qui est disponible pour les activités libérales, l’activité intellectuelle et l’activité politique. Les artisans, les esclaves, les producteurs, les commerçants sont bien trop affairés (negotium en latin), bien trop occupés à pourvoir aux nécessité de la vie pour être disponibles (otium : loisir studieux) pour les préoccupations spirituelles. Le terme grec désignant l’artisan (banausos) renvoie au registre péjoratif de la rusticité, de l’inculture ou de la grossièreté. Dans La République 495d-e Platon parle de la « foule des gens de nature inférieure, et chez qui l’exercice d’un métier mécanique a usé et mutilé l’âme en même temps que déformé le corps ».  C’est en ce sens qu’il faut comprendre que le travail peut être vécu comme une aliénation, une mutilation de la nature spirituelle et morale de l’homme, ce qui occupe son temps au détriment d’activités plus essentielles. Au fond l’homme fait souvent l’expérience qu’il perd sa vie en étant contraint à la gagner.
 Marx écrit en ce sens :
« A la vérité, le règne de la liberté commence seulement à partir du moment où cesse le travail dicté par la nécessité »
L’épanouissement de l’homme n’est plus conçu dans le travail mais hors de lui dans le temps de loisir, dans le temps libre.


B)    Rapport du travail à la liberté.
Peut-il y avoir un rapport entre travail et liberté ? Ce lien apparaît dès qu’on souligne le caractère spécifiquement humain du travail.
 Il est, dit Marx, « l’essence de l’homme » signifiant par là que le travail est le propre de l’homme. S’il en est ainsi, on commet une erreur lorsqu’on parle du travail des animaux. Sous une même dénomination, on désigne des réalités qui, en toute rigueur, doivent être différenciées.
 Pourquoi donc le travail est-il spécifiquement humain ?
 La réponse à cette question exige de distinguer l’activité humaine de l’activité instinctive. Contrairement à cette dernière, la première n’est pas régie par le déterminisme naturel. Ni dans ses fins, ni dans ses moyens, l’activité humaine n’est soumise à la loi naturelle.
 « L’homme est libre de l’instinct » (Kant). Le travail est une activité consciente et volontaire.

 

«  Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l’homme et la nature. L’homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d’une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement afin d’assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie. En même temps qu’il agit par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature et développe les facultés qui y sommeillent. Nous ne nous arrêtons pas à cet aspect primordial du travail où il n’a pas encore dépouillé son mode purement instinctif. Notre point de départ c’est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l’homme. Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l’abeille confond par la structure de ses cellules de cire l’habileté de plus d’un architecte. Mais ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur. Ce n’est pas qu’il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d’action, et auquel il doit subordonner sa volonté. Et cette subordination n’est pas momentanée. L’œuvre exige pendant toute sa durée, outre l’effet des organes qui agissent, une attention soutenue, laquelle ne peut elle-même résulter que d’une tension constante de la volonté. »

                                                                       K. Marx

Questions :

-          Lire le texte, dégager la notion abordée et la thèse de l’auteur

-          Le découper en 2 ou 3 parties. Faire une synthèse rapide de chacune, trouver le lien entre elles et la question principale à laquelle chacune répond.

-          Mette en lumière un problème, un paradoxe ou une contradiction dans ce texte et le discuter.


 Le travail est donc d’abord projet. L’objet ou la fin visée n’est pas fixé par un besoin naturel car l’homme a le pouvoir de se représenter, d’imaginer l’objet propre à le satisfaire. Avec l’homme le besoin devient désir et ouvre un horizon dépassant les limites que la nécessité biologique assigne aux opérations animales. Dans son projet l’homme manifeste son intériorité spirituelle, il anticipe un monde aux couleurs de ses rêves et il ne se contente pas de le fantasmer. En se mettant à la tâche, il  va s’efforcer de lui donner existence. Aussi va-t-il inscrire dans l’extériorité la marque de son intériorité. Ce qui implique la fabrication d’outils, la mise au point de machines permettant d’augmenter les pouvoirs de son corps et d’insérer entre lui et la nature le monde des objets techniques.
 Par son procès même, tant au niveau des fins qu’à celui des moyens, le travail rompt avec la nécessité naturelle. Il ne se contente pas d’accomplir passivement les opérations de la nature comme c’est le cas de l’animal. Il la modifie en fonction de ses exigences et en la modifiant, il se modifie lui-même. « En même temps qu’il agit par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature, et développe les facultés qui y sommeillent » remarque Marx.
 Par là l’homme n’a pas du tout le même rapport à la nature que l’animal. Celui-ci est adapté à la nature par des mécanismes naturels, l’homme adapte la nature à ses désirs par des opérations qu’il ne doit qu’à son ingéniosité. Il l’humanise et par là même il manifeste dans l’extériorité ce qu’il est intérieurement. En ce sens, le travail donne naissance à un monde artificiel témoignant que l’homme s’invente lui-même en même temps qu’il invente son monde : il s’humanise

Conclusion : L’aliénation du travail
« En quoi consiste la dépossession du travail ? D'abord, dans le fait que le travail est extérieur à l'ouvrier, c'est-à-dire qu'il n'appartient pas à son être ; que, dans son travail, l'ouvrier ne s'affirme pas, mais se nie ; qu'il ne s'y sent pas satisfait, mais malheureux ; qu'il n'y déploie pas une libre énergie physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. C'est pourquoi l'ouvrier n'a le sentiment d'être à soi qu'en dehors du travail ; dans le travail, il se sent extérieur à soi-même. Il est lui quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il n'est pas lui. Son travail n'est pas volontaire, mais contraint. Travail forcé, il n'est pas la satisfaction d'un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail. La nature aliénée du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu'il n'existe pas de contrainte physique ou autre, on fuit le travail comme la peste. Le travail aliéné, le travail dans lequel l'homme se dépossède, est sacrifice de soi, mortification. Enfin, l'ouvrier ressent la nature extérieure du travail par le fait qu'il n'est pas son bien propre, mais celui d'un autre, qu'il ne lui appartient pas ; que dans le travail l'ouvrier ne s'appartient pas à lui-même, mais à un autre. Dans la religion, l'activité propre à l'imagination, au cerveau, au coeur humain, opère sur l'individu indépendamment de lui, c'est-à-dire comme une activité étrangère, divine ou diabolique. De même l'activité de l'ouvrier n'est pas son activité propre, elle appartient à un autre, elle est déperdition de soi-même. On en vient donc à ce résultat que l'homme (l'ouvrier) n'a de spontanéité que dans ses fonctions animales : le manger, le boire et la procréation, peut-être encore dans l'habitat, la parure, etc., et que, dans ses fonctions humaines, il ne se sent plus qu'animalité : ce qui est animal devient humain, et ce qui est humain devient animal. » 

Marx Manuscrits de 1844 

Questions :

-          Lire le texte, dégager la notion abordée et la thèse de l’auteur

-          Le découper en 2 ou 3 parties. Faire une synthèse rapide de chacune, trouver le lien entre elles et la question principale à laquelle chacune répond.

-          Mette en lumière un problème, un paradoxe ou une contradiction dans ce texte et le discuter.

 

Texte 3 : ARENDT, La condition de l’homme moderne

 "C'est l'avènement de l'automatisation qui, en quelques décennies, probablement videra les usines et libérera l'humanité de son fardeau le plus ancien et le plus naturel, le fardeau du travail, l'asservissement à la nécessité. (...) C'est une société de travailleurs que l'on va délivrer des chaînes du travail, et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté. Dans cette société qui est égalitaire, car c'est ainsi que le travail fait vivre ensemble les hommes, il ne reste plus de classe, plus d'aristocratie politique ou spirituelle, qui puisse provoquer une restauration des autres facultés de l'homme. Même les présidents, les rois, les premiers ministres voient dans leurs fonctions des emplois nécessaires à la vie de la société, et parmi les intellectuels il ne reste que quelques solitaires pour considérer ce qu'ils font comme des oeuvres et non comme des moyens de gagner leur vie. Ce que nous avons devant nous, c'est la perspective d'une société de travailleurs sans travail, c'est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire."

Questions :

-          Lire le texte, dégager la notion abordée et la thèse de l’auteur

-          Le découper en 2 ou 3 parties. Faire une synthèse rapide de chacune, trouver le lien entre elles et la question principale à laquelle chacune répond.

-          Mette en lumière un problème, un paradoxe ou une contradiction dans ce texte et le discuter.

-          Expliquer les expressions soulignées

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