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Philo Mermoz
25 mai 2018

II] La vita activa

II] La vita activa (vie active)

 

  1. Le travail, l’œuvre et l’action

a)      La déshumanisation de l’homme

Par conséquent, à travers cette réflexion sur la culture on a mis en lumière le fait que l’homme n’était pas réductible à son appartenance culturelle. Etre un homme c’est être doué de raison, c’est donc, avoir la capacité de penser. Or, Hannah Arendt constate que la société moderne a tendance à détruire la pensée de l’homme. En effet, elle nous pousse de plus en plus soit, dans notre travail, à nous préoccuper de nos besoins matériels soit, dans nos loisirs, à nous faire plaisir. Autrement dit, on a de moins en moins le loisir (scholé) de penser, de moins en moins l’occasion de répondre à nos besoins spirituels.

En ce sens, on vit dans une société sans relief, sans perspective, sans âme, où plus rien n’a de valeur, plus rien n’a de dignité mais tout a un prix : tout s’achète, tout se vend, et les hommes eux-mêmes réduits à leurs seules fonctions économiques, dans un système bureaucratique qui les rend de plus en plus anonymes, finissent par perdre toute dignité, toute humanité. C’est ce système totalitaire qui sert de dénominateur commun au fascisme, au communisme et au capitalisme et qui nous a conduit et ne cessera de nous conduire au mal absolu, à savoir les crimes contre l’humanité.

 

b)      La nécessité de penser au sens de nos actions

Tout le problème vient de ce que nous avons arrêté de penser et l’ambition d’Arendt dans la condition de l’homme moderne c’est justement de nous inviter à nouveau à « penser à ce que nous faisons ». Que faisons-nous ? Pour répondre à cette question, elle distingue trois activités fondamentales, qui forment la vie active par opposition à la vie contemplative.

 

3. Travail

2. Œuvre

1. Action

-          Le travail produit, les biens de consommation par lesquels la vie s'assure ses moyens de subsistance

 

-          Le travail est donc une nécessité naturelle puisqu’il est lié à la vie biologique de l’homme en tant qu’animal. C’est ce qui permet à l’homme de vivre sur terre, de s’adapter pour assurer sa survie en tant qu’espèce.

-          A travers les œuvres, les hommes cessent d’appartenir au milieu naturel pour créer un monde typiquement humain. Le monde précisément dans lequel ils habitent.

 

-          Ce monde créé par les hommes est composé d’objets artificiels qui ne sont pas destinés à être consommés mais qui vont survivre aux hommes et aux époques, voire pour certaines (les œuvres d’art) devenir immortelles.

-          L’action, seule activité qui mette directement en rapport les hommes, sans l’intermédiaire des objets ni de la matière : elle suppose la liberté de chacun et l’échange de paroles pour s’entendre et vivre ensemble.

 

-          Pour Arendt, l’action suppose donc la pluralité : le fait que ce sont des hommes et non pas l’Homme, qui vivent sur terre et habitent le monde : tous humains, donc semblables, mais tous uniques car différents.

 

Pour Arendt ces trois activités sont toutes aussi nécessaires mais ne sont pas pour autant équivalentes. Les hommes ont certes besoin de travailler pour survivre mais le travail reste lié à la vie au sens biologique (zoè en grec). Le travail est au service de l’animalité de l’homme. Autrement dit, l’homme ne s’élève véritablement à son humanité que par la création d’œuvres et surtout en agissant dans le monde au milieu des hommes.

 

c)      L’inversion des valeurs

Or, à partir de ces analyses Arendt comprend l’origine de la déshumanisation qui est à l’œuvre dans notre société moderne : elle vient d’une confusion entre ces trois activités et d’une inversion entre elles.

 

-          Une confusion : Arendt s’inscrit en faux par rapport à toute la tradition philosophique qui avait fait de la mort la question centrale de l’existence. Il fallait donc penser la mort, comprendre que philosopher c’était apprendre à mourir, se détacher de son corps, se désengager de la cité, se détacher même de la terre, et contempler le ciel des Idées. Donc la philosophie se confondait avec la vie contemplative et au regard de cet idéal toutes les activités se valent, c’est-à-dire ne valent rien. Or le christianisme est venu démocratiser cet idéal contemplatif en occident et en a fait l’idéal de l’existence pour tout homme, la clé du paradis. Or, Arendt ne va pas placer la mort au centre de la pensée mais la naissance : qu’est-ce que naître ? c’est venir au monde, c’est être prêt à agir.

 

-          Une inversion des valeurs : La condition de l’homme moderne se caractérise par l’importance du travail. Pourquoi le travail, activité considérée comme l’activité la plus basse par les anciens,  devient-il  la mieux considérée des activités humaines à l’époque moderne ?

 

 

2.      Le travail

 

Nous vivons dans une société de consommateurs et donc de travailleurs : l’homme n’est plus qu’un animal laborans. Toutes les activités sérieuses, quels qu'elles soient, reçoivent le nom de travail et toute activité qui n'est nécessaire ni à la vie de l'individu ni au processus vital de la société est rangée parmi les amusements, les passe-temps. Donc le travail est la valeur des valeurs.

 

Or, avec l’automatisation, on assiste à un paradoxe : les hommes remplacés par des robots se retrouvent massivement sans travail. Et Arndt perçoit dès les années 50 tout le problème que va poser cette question du chômage dans « une société de travailleurs ». Les hommes, en effet, qui ne savent plus que travailler, qui ne se définissent plus que par rapport à leur travail, ne savent plus que faire de leur vie, ils sont incapables de la repenser et ils se sentent complètement perdus.

3.      L’œuvre

Les œuvres désignent toutes les choses produites par l’homme et qui ont vocation à durer et à lui permettre d’habiter le monde. Or parmi toutes les œuvres produites par l’homme, les œuvres d’art sont, du fait de leur inscription dan le temps, les œuvres par excellence : elles sont certes créées par des mortels amis elles ont vocation à être immortelles. .

L’art est donc essentiel parce que l’art c’est l‘âme du monde, c’est ce qans quoi l’humanité fait plus que vivre mais habite c’est-à-dire se développe et s’épanouit. Autrement dit à travers le monde des arts, l’homme cesse de répondre uniquement à ses besoins naturels mais il répond à son humanité, il répond à ses besoins spirituels.

 

Et tout le problème de la société moderne c’est qu’elle va pervertir les œuvres : Le sens profond de l’art qui est de manifester l’esprit à ses propres richesses, va être perdu. Les œuvres ne vont plus tirer leur valeur de ce qu’elles parlent à notre humanité, qu’elles touchent notre esprit mais elles vont avoir uniquement une valeur marchande. C’est donc, comme pour n’importe quel vulgaire objet marchand, la loi de l’offre et de la demande qui va primer et non les qualités esthétiques intrinsèques de l’oeuvre.

 

 

4.      L’action

 

L’action est l’activité qui fait de notre vie une vie véritablement humaine. Or nous n’agissons pas seuls mais nous agissons toujours au milieu d’autres personnes. Ce qui caractérise donc fondamentalement la condition humaine c’est la pluralité, une pluralité caractérisée par deux éléments : l'égalité et  la différence.

-          Égaux, les hommes sont libres d’agir par eux-mêmes, pour préparer l'avenir.

-          Différents, - chaque être humain se distinguant de tout autre homme - les hommes ont besoin de la parole pour se faire comprendre et interagir.

Donc à travers l’action politique, les hommes sortent de leur simple sphère privée pour chercher à construire un monde en commun avec toute la part de hasard que cela comporte puisque précisément les hommes agissent librement et non en vertu d’une nécessité que l’on pourrait déterminer à l’avance. Tel est le vrai sens du politique et voilà pourquoi il n’y a pas de régime ou de modèle politique parfait puisque, quoi qu’il en soit, c’est aux hommes d’en décider.

 

Mais dans notre société obnubilée par les préoccupations économiques, la politique ne sert plus à construire un monde commun, mais à gérer les richesses. En clair, chacun va se replier sur sa sphère privée et travailler à son bonheur personnel. L’espace privé devient sacré et la conséquence c’est qu’on néglige l’espace public, qui est pourtant, avant tout, l’espace commun, l’espace du dialogue avec les autres. Ce monopole de la sphère privée coupe l’individu du monde et des autres, si bien qu’on a affaire à une société de travailleurs isolés les uns des autres, tellement pris par leurs intérêts égoïstes qu’ils en deviennent sourds à la parole des autres. Ainsi, l’animal laborans est apolitique, il a déserté le monde et il ne dialogue plus avec ses prochains mais il les ignore.

 

La conséquence de ce désengagement des hommes de l’espace public, de ce désintérêt pour la chose publique (respublica) c’est l’émergence d’un pouvoir central, administratif, tout puissant qui va s’occuper de tout, qui ne va pas chercher à laisser les citoyens agir mais qui va agir ou bien plutôt « faire ».

Autrement dit, pour Arendt, dans la société moderne, on comprend l’action politique comme faire quelque chose et c’est précisément cela le totalitarisme.  En effet, faire –l’activité qui renvoie ici à l’œuvre – est quelque chose qu’un artisan réalise en contraignant la matière brute à se conformer à son modèle. La matière brute n’a rien à dire dans le processus. De même le pouvoir central dont nous parle Arendt transforme les êtres humains en matériau brut qu’il faut remodeler, formater, homogénéiser, grégariser. En un mot, l’Etat nie la liberté des individus pour forger une société de travailleurs où personne n’a plus son mot à dire, où personne, occupé qu’il est à ses activités égoïstes, ne pense même plus qu’il pourrait avoir un mot à dire.

 

 

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