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Philo Mermoz
27 avril 2018

I] 2.b La démonstration

b) Réflexion sur la démonstration

 

-          La notion d’obstacle épistémologique

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A travers la critique de l’empirisme, on est arrivé à établir qu’autant l’expérience sensible peut être source d’erreurs autant par des calculs et des raisonnements mathématiques on peut déterminer précisément la nature des phénomènes.

Voilà pourquoi tout l’enjeu des sciences est de mettre entre parenthèse notre perception quotidienne du monde. Bachelard va parler d’obstacle d’épistémologique. On a un rapport au monde quotidien, un vécu qui détermine notre manière de percevoir les choses or dans notre vecu quotidien, notre rapport au monde est biaisé par l’aspect utilitaire des choses, la chose ne m’apparaît que dans son utilite, ce à quoi elle est bonne. Notre connaissance du monde n’est donc jamais véritable parce qu’elle toujours intéressée ; on ne s’intéresse aux objets que dans la mesure où ils nous servent et à partir du moment où la chose n’a plus d’utilité elle n’a plus de valeur pour nous.

Or ce rapport utilitaire au monde va être magique dans la mesure où on ne va pas chercher à connaître les choses en tant que telles, on va juste les utiliser comme par enchantement et le jour où elles ne marchent plus nos réactions seront irrationnelles, cela va susciter notre colère, notre énervement, ou bien on va faire appel à un marabout pour que la chose en question fonctionne à nouveau comme on le désire.

 

Sans titre

Donc, tant qu’on ne cherche pas à expliquer la cause des phénomènes, il est fatal qu’on tombe dans la superstition qui revient finalement à établir avec les choses les mêmes relations qu’on établit avec des personnes, à considérer que les choses n’obéissent pas à des lois mais sont animées d’une volonté propre et le marabout se présente comme celui qui peut influer sur la volonté des choses.

Mon expérience quotidienne du monde me trompe donc et constitue le principal obstacle à surmonter pour faire des sciences et rechercher la vérité.  

Pour faire des sciences, nous dit Descartes, je dois fermer les yeux, me boucher les oreilles et me détourner de mes sens parce que les sens ne donnent accès qu’à des choses qui sont fausses et la seule véritable perception du monde, c’est celle qui fait abstraction du vécu pour s’appuyer uniquement sur des calculs. Autrement dit, les mathématiques sont les yeux à travers lesquels le réel apparaît.. Dès lors, si on veut comprendre la vérité en science, il faut réfléchir d’abord sur ce que sont les mathématiques. Or, par excellence, les mathématiques sont la science de la démonstration.

 

-          La distinction entre le sensible et l'intélligible

A l’origine, les mathématiques répondent a des préoccupations concrètes, à des besoins vitaux. Elles sont nées de la nécessité qu’avait les hommes de maitriser leur environnement en mesurant l’espace, le temps et les quantités pour fixer le calendrier, calculer l’impôt, mesurer et délimiter les chants etc.

 

maths concret

Or, Thales a révolutionné les mathématiques en comprenant qu’elles sont une science des idées, que les mathématiques ne s’appuient pas sur des observations mais sur des raisonnements.

Prenons l’exemple de la droite :

Construire+la+droite+d’+perpendiculaire+à+la+droite+d

La droite tracée au tableau n’est pas une droite car premièrement, une droite est par définition infinie, or la droite tracée au tableau est toujours finie et deuxièmement, une droite, toujours par définition, est « une longueur sans largeur », or la droite tracée ne peut nous apparaitre que si elle a une largeur. Donc, la seule véritable droite, ce n’est pas celle que je peux observer sur le tableau mais c’est celle que je peux penser dans mon esprit.

Par là même, Platon va distinguer le sensible et l’intelligible pour montrer la supériorité du sensible sur l’intelligible : L’idée de la droite est, en effet, plus réelle que la droite sensible. On en déduit que la seule véritable réalité ce n’est pas celle qui est sentie ou observée mais c’est celle qui est pensée. Autrement dit, les apparences sensibles sont trompeuses et nous empêchent d’accéder à la vraie réalité qui est intelligible c'est-à-dire qui n’est accessible que par la pensée.  

 

«+Que+nul+n+entre+ici+s+il+n+est+géomètre+»

 Par conséquent, on est arrivé à l’idée que les mathématiques sont une science de l’esprit et les objets mathématiques ne sont pas des choses que l’on peut observer mais des idées sur lesquels on peut raisonner. Dès lors, pour arriver à la vérité il faut raisonner. Et le raisonnement par excellence c’est la démonstration.

 

-          Démonstration: nécessité et liberté

 

Qu’est ce que démontrer ?

C’est considérer que l’esprit peut arriver à la vérité en s’appuyant sur ses propres lois. Autrement dit, démontrer ce n’est pas montrer. Montrer c’est faire apparaître aux yeux. Démontrer c’est faire apparaître aux yeux de l’esprit.

Autrement dit, celui à qui on a démontré quelque chose, voit clairement la vérité qui devient, pour lui comme pour moi, une évidence. La démonstration, en outre, est objective parce qu’elle est nécessaire. Dans les seconds analytiques, Aristote va précisément réfléchir sur la démonstration.

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Il part du principe que connaître c’est pouvoir rendre raison d’une chose. Rendre raison c’est expliquer. C’est-à-dire donner la cause du phénomène. Or, il y a un lien nécessaire entre la cause et son effet : si je chauffe un métal il va nécessairement se dilater. Dès lors, une connaissance vraie se reconnaît à cette même nécessité. Et justement démontrer c’est partir d’une évidence et déduire nécessairement une vérité qui suit de cette évidence. On va donc déduire de la première évidence une autre vérité nécessairement. Toute démonstration est donc un raisonnement analytique, déductif qui consiste à faire glisser une première évidence à des propositions suivantes.

Ce qui est démontré, enfin, est certain dans la mesure où n’importe qui à ma place peut comprendre ce qui est démontré. Voilà pourquoi la meilleure manière de se mettre d’accord avec quelqu’un, de le convaincre, c’est de lui démontrer ce qu’on dit. Et, à partir du moment où une proposition est démontrée, elle est universelle, tout le monde est d’accord.

 

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Mais cette nécessité de la démonstration n’est pas contraire à la liberté de chacun puisque chacun est libre de comprendre la démonstration, il lui suffit, non pas de suivre passivement le raisonnement, mais de raisonner par lui-même. En un mot, la démonstration fait appel à la raison. Donc, si je reconnais la vérité d’une démonstration ce n’est pas parce qu’on me l’impose, que je suis contraint, mais c’est parce que j’ai compris par moi-même, parce que l’évidence s’est faite dans mon exprit. Et c’est précisément ce que Platon veut nous montrer à travers l’exemple de l’enfant dans le Ménon.

 

 

-          Exemple de l’enfant dans le Ménon: La maïeutique et la réminiscence

Socrate et Ménon, personnages principaux du dialogue de Platon, abordent une question : la vertu s’enseigne-t-elle ? Mais cette question est pour, Platon, l'occasion pour mettre en évidence deux éléments essentiels de sa philosophie: la ‘‘maïeutique’’ et la ‘‘réminiscence’’.

  • La maïeutique

Pour bien comprendre ce qu’est la maïeutique, il faut faire une brève biographie de Socrate. Sa mère est maïeuticienne c'est-à-dire sage femme. Comme tout bon athénien il va consulter l’Oracle de Delphes, la Pythie, qui a le don de connaître l’avenir. Et elle dit quelque chose d'étonnant à Socrate : "Socrate tu es le plus sage des hommes". Socrate n’en croit pas ses oreilles et tout au long de sa vie il va mener une enquête pour démontrer que la Pythie s’est trompée.

pythie

 

Donc il va passer sa vie dans les rues d’Athènes à interroger les gens pour précisément trouver plus sage que lui. Par exemple, il va questionner les sophistes, qui sont des maitres du savoir, des hommes politiques, des prêtres, artistes/artisans, des juges. Et il se rend compte que tous ces prétendus sages ou savants sont en réalité ignorants. Socrate ici va distinguer deux formes d’ignorance : la première c’est celle qui s’ignore elle-même, l'ignorance de ceux qui croient savoir, qui ont une opinion sur tout. Et le problème c’est que parce qu’ils croient savoir, ils ne cherchent pas véritablment à savoir. L’opinion devient donc un obstacle à la connaissance de la vérité.

Dès lors, Socrate comprend qu’il est le plus sage des hommes, non pas parce qu’il sait quelque chose mais car il sait qu’il ne sait pas. Toute la philosophie et tout l’art de Socrate c'est de faire en sorte que les personnes prennent conscience de leur ignorance à travers le dialogue. Socrate va se comparer à sa mère qui est sage-femme.  De même que sa mère accouche les corps, Socrate accouche les esprits c’est-à-dire que par le dialogue, par les questionnements, il va permettre à son interlocuteur d’exprimer sa pensée, de donner naissance à ses idées. Il faut insister sur le fait que Socrate n’impose pas ses idées, il aide juste son interloctuer à penser.

Donc à travers le dialogue on ne cherche pas à avoir raison à tout prix, à imposer ses opinions. Bien au contraire, on veut libérer l’autre, faire en sorte qu’il puisse penser par lui-même. Donc, la thèse de Socrate c’est que l'on ne peut rien apprendre des autres, ce n’est pas aux autres de nous dire la vérité mais c’est à nous de la chercher, de la comprendre. La conséquence c’est que la vérité n’est jamais quelque chose qui est extérieure a soi, c’est quelque chose qu’on trouve en soi-même à la condition de faire appel a son esprit/sa raison, de ne pas etre aveuglé par ses opinions, ses émotions, ses passions ou ses préjugés. Et cela renvoie à ce qu'on appelle la réminiscence, à savoir que connaître ce n’est rien d’autre que se souvenir.

 

  • La réminiscence

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 Dans le Ménon, Socrate va chercher à expliquer ce qu’est la réminiscence à Ménon.

Ménon met en évidence un paradoxe : moi qui suit ignorant, comment puis-je chercher la vérité ? être ignorant c'est ne pas connaître la vérité. Or comment chercher ce que je ne connais pas ? Supposons que je la trouve, je ne pourrais pas la reconnaître car je ne la connais pas. En un mot, si je ne sais pas ce que je cherche, je ne peux pas le trouver. Et si je la connais, à quoi bon la rechercher.

Socrate va passer par un mythe pour faire comprendre ce qu’il veut dire. Le mythe de l’immortalité de l’âme. Les âmes sont éternelles et passent leur temps à naître et à mourir. Autrement dit, étant donné qu’elles ont déjà vécu mille et une vie chaque âme a déjà une connaissance de tout ce qui est. '' Connaître, savoir ce n’est donc rien d’autre que se ressouvenir ''. Et donc arriver à la vérité (alétheia) c’est sortir de l’oubli (léthé), la vérité n'est pas la connaissance de nouvelles choses mais c'est un dévoilement. Dès lors, la vérité ne se définit plus comme ce qui correspond à la réalité mais c'est ce dont on doit se souvenir en plongeant dans son esprit.

Pour justifier ce qu'il dit Socrate va demander à Ménon de faire un des enfants/esclaves qui sont dans la maison et qui n'a aucune connaissance en mathématiques et simplement en le questionnant, Socrate va faire en sorte que l'enfant trouve par lui-même la démarche à suivre pour dupliquer l'aire d'un carré.

Socrate_M_non_duplication_carr_

 

Exemple+de+maïeutique+appliquée+dans+le+Ménon

A partir de cet exemple, on arrive à l'idée que l’esprit peut en suivant ses propres lois, propre logique arriver à établir la vérité. Autrement dit, il suffit de suivre la raison pour connaître la réalité.

 Un_jeune_esclave_r_pond___Socrate

 

 

Les limites de la démonstration.

  •  Vérité et validité

La démonstration est donc irréfutable dans son mécanisme c’est-à-dire que si les hypothèses au départ son vraies, la conclusion sera nécessairement vraie aussi. Mais la faiblesse de la démonstration c’est que la vérité de la conclusion dépend des hypothèses de départ. Or ces hypothèses ne sont pas démontrées, d’où l’idée qu’il y a des limites à la démonstration.

Une démonstration est une suite ou un enchaînement logique de déductions: on va partir d’une première vérité et faire glisser cette vérité étape après étape. Ainsi, toute déduction a pour point de départ une première vérité, c’est-à-dire une évidence, et la conclusion n’est vraie que si la vérité/l’évidence de départ est certaine. Le problème c'est que tant qu’on n'est pas certain de la vérité de départ, la démonstration peut etre valide mais n’est peut etre pas vraie.

 

  • Déduction et intuition

Par conséquent, dans une démonstration, il y a toujours quelque chose qui est indémontré, c’est le point de départ de la démonstration, et donc pour etre sûr d’arriver à la vérité, il faudrait démontrer le point de départ, en mettant en place un nouveau raisonnement. Or, dans ce nouveau raisonnement, on partirait d'une première vérité qui elle-même serait indémontré et qu'il faudrait à son tour démontrer et ainsi de suite à l'infini.

On appelle cema une régression à l’infini. C’est un cercle vicieux. Il y a toujours quelque chose d’incomplet dans une démonstration. Voilà pourquoi il faudra compléter la démonstration en utilisant autre chose qu’une déduction et cette autre chose c’est l’intuition.

 

  • Les géométries non-euclidiennes

 

Par exemple, en mathématiques, les vérités démontrées sont les théorèmes. Mais au départ de toutes ces démonstrations,  il y a des évidences qui sont impossibles à démontrer. C’est ce qu’on appelle les Axiomes. Euclide dans ses éléments va déterminer les axiomes de la gémométrie.

Premièr axiome : il existe toujours une droite qui passe entre deux points.

Deuxième axiome : tout segment de droite peut être prolongé à l’infini.

Troisième axiome : à partir d’un segment, il est possible de tracer un cercle dont le centre est un des points et le rayon la longueur du segment

Quatrième axiome : tous les angles droits sont égaux entre eux.

Cinquième axiome: Supposons une droite et un point extérieur à cette droite. Il y a seulement une droite qui passera par ce point et qui sera extérieure à cette droite.

Ces axiomes sont les vérités de base de la géométrie, on ne peut pas les démontrer mais tous les mathématiciens les acceptent car elles sont évidentes. Au XIXe siècle, cependant, certains mathématiciens vont refuser le 5e axiome qui n'a pas l'évidence des quatre premiers, et réaliser qu’on peut construire des géométries totalement différentes de celle d’euclide mais toutes aussi cohérentes et valides et en ce sens « vraies ». C'est ce qu'on va appeler les géométries non euclidiennes et qui sont utilisées, par exemple, dans la théorie de la relativité d'Einstein.

 Par conséquent, on est arrivé à l’idée que la démonstration ne peut pas suffire pour arriver à la vérité et c'et ce que l'on va confirmer en critiquant l'argument ontologique qui est la principale démonstration utilisée pour démontreer l'existence de Dieu.

  • La démonstration de l’existence de Dieu et l’argument des 100 thalers 

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Supposons qu’on me donne un triangle, immédiatement je sais que la somme des trois angles sera égale à 180°. Donc en pensant la nature, l’être du triangle, je peux déduire logiquement ses propriétés et l’argument ontologique c’est de dire que, de même que je peux déduire que la somme des trois angles d’un triangle est égale a 180º quand je pense à un triangle, de même quand je pense à Dieu je peux déduire logiquement qu’il existe. Autrement dit, l’existence est une propriété de Dieu. On peut donc rationnellement démontrer que Dieu existe, il ne s'agit donc pas de foi aveugle ni de credo absurde mais de connaissance certaine selon Saint Anselme.

 

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Donc l’existence est une propriété que l’on peut déduire logiquement rationnellement de l’essence/de la nature de Dieu, plus précisément, de son concept. Or, Kant va critiquer cet argument ontologique. C’est l’argument des Cent Thalers.

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Supposons que je pense à Cent Thalers, je peux déduire logiquement tout ce que je peux faire avec cet argent : acheter un nouveau vélo, des nouveaux jeux pour ma console, etc. en clair, je peux déduire toutes les propriétés du concept. Mais, ce n’est pas parce que je pense aux Cent Thalers que je suis riche. Autrement dit la pensée d’une chose ne nous donne aucune indication sur son existence. L’existence n’est pas une propriété de la chose. Et donc dire qu’une chose existe c’est dire qu’elle est présente ici et maintenant, qu'elle est donnée aux sensations.

Voilà pourquoi aucune démonstration ne peut jamais me prouver qu’une chose existe ou pas. On ne peut donc pas démontrer que Dieu existe ou qu’il n’existe pas. Chacun est libre de croire ou de ne pas croire ce qu’il veut.

 

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